Maintenant je sais que la plus grande douleur humaine qui puisse exister, c'est la mort de son enfant.

  
    Mourir, c'est aussi naturel que vivre, et ça arrive à tout le monde.  Mais, mourir à vingt ans, ce n'est pas dans l'ordre de la nature.  C'est un mystère douloureux.  Ça vous déchire l'âme, le coeur et le ventre.  Ça vous assomme, ça vous triture, ça vous démolit.


    Mais comme ça vous éclaire aussi!  Je ne sais plus qui a dit (je crois que c'est Lamartine): " Le malheur ouve l'âme à des lumières que la prospérité ne discerne pas."  Que c'est vrai !  J'avais vécu jusqu'ici un bonheur que je ne méritais sans doute pas.  Puis tout d'un coup, venant de nulle part, un poignard me transperce le coeur: mon fils meurt.  Je ne vous dirai pas mon chagrin, il est indicible.  Et il ne concerne que moi.  Mais j'ai le goût de vous dire, à vous chers lecteurs qui êtes mes amis inconnus, les pensées que me laisse cette tragédie.    Ne serait-ce que pour que ceux qui ont vécu la même, y trouvent, avec ma sympathie, les mêmes raisons que moi d'en tirer des leçons de vie.


    La première leçon, c'est une histoire d'amour.  Je pense qu'il n'y a pas de valeur humaine plus précieuse que le bonheur de ses enfants.  Toutes les mères et tous les pères le savent.  Mais ce qu'en pratique nous oublions si souvent - tant l'habitude de la cohabitation nous immunise contre le devoir de la tendresse - , c'est que ce bonheur de nos enfants exige de nous un amour inconditionnel, fervent, tenace, patient, doux, quotidien... et toujours recommencé.  Si nous étions aussi intelligents que nous pensons l'être, nous saurions que rien de ce qui ne peut être obtenu par la douceur ne peut l'être autrement.   Il n'y a qu'une seule méthode efficace d'éducation: c'est l'amour.


    L'autre leçon s'inscrit dans une persperctive d'éternité.  Quand on vit un bonheur tranquille et sans drame, on a l'insolence intellectuelle facile, on évacue aisément de son âme l'idée de Dieu et on se croit un esprit fort quand, sous prétexte d'affranchissement, on nie jusqu'à l'hypothèse d'une autre vie après notre mort temporelle.  Mais quand le destin vient vous arracher un fils de vingt ans, c'est le coeur avec tout ce qu'il contient d'amour qui exige de l'intelligence qu'elle s'ouvre à des réalités plus consolatrices que les seules compassions terrestres.  Et alors, au détour du chemin de croix qui nous a menés, nous aussi, à un calvaire, se dresse, sombre et lumineuse à la fois, l'immense et obsédante  et essentielle question de la Vérité.


    Ceux qui n'ont pas eu le don de la foi qui illumine, explique, simplifie et enrichit la vie en lui donnant tout son sens, cherchent une raison à leur douleur.  Et il arrive parfois que cette douleur même soit une grâce.  Et que l'illumination de l'esprit passe par la blessure du coeur.  Et que les sauvages exigences de l'amour débouchent sur la route de la lumière immortelle.


    Comment expliquer autrement l'interrogation de l'homme devant le mystère de la mort de celui qu'il aime ?  Moi qui ne suis qu'un simple ignorant comme les autres devant le mystère de la mort, et qui n'ai jamais eu qu'une foi fragile, vacillante, bougonneuse et toujours inquiète, je n'ai jamais eu autant besoin  de la certitude de l'immortalité que depuis que j'ai perdu mon fils.  Il m'apparaît irrationel, absurde, illogique, injuste, contradictoire et intellectuellement inacceptable que la vie humaine ne soit qu'un insignifiant passage de qulques centaines de jours sur une terre ingrate et somptueuse.  Il me semble impensable que la vie, une fois commencée, s'achève bêtement par une triste dissolution dans la matière, et que l'âme, comme une splendeur éphémère, sombre dans le rien après avoir inutilement été le lieu spirituel et sensible de si prodigieuses clartés, de si riches espérances et de si douces affections.  Il répugne à la raison que l'existence ne soit que temporelle et qu'un être humain n'ait pas plus de valeur qu'un caillou.


    Non, Dieu existe.  Ne serait-ce que parce qu'il n'y a rien d'explicable sans son existence.  C'est vrai que son mystère me scandalise, mais c'est aussi vrai que sa présence m'est nécessaire. Si le besoin de croire est si grand, c'est donc que la foi est surnaturelle - toute surnaturelle que la disent les théologiens.  Comme je trouve belles et douces les paroles de la préface de la messe des morts quand elle nous dit que " la mort n'enlève pas la vie, elle ne fait que la changer", et qu'à cause du Christ luit l'espoir de la résurrection afin que ceux qu'attriste leur condition de mortels soient consolés par la promesse de l'immortalité!  C'est sans doute ce qui a fait dire au poète ces vers qui sont en même temps un crédo et un chant d'espérance:
     Je dis que le tombeau qui sur la mort se ferme Ouvre le firmament,
Et que ce qu'ici-bas nous prenons pour le terme
Est un commencement."


    Un homme qui s'éteint, ce n'est pas un mortel qui finit, c'est un immortel qui commence.  C'est pourquoi en allant confier le corps de mon fils à la terre accueillante où il dormira doucement à côté des siens en attendant que j'aille l'y rejoindre, je ne lui ai pas dit "adieu", je lui dit "à bientôt."  Car la douleur atroce qui me serre le coeur raffermit, à chacun de ses battements, ma certitude qu'il est impossible d'autant aimer un être et de le perdre pour toujours.


    L'une de vous m'a écrit un mot de compassion que j'ai reçu comme un baume.  Elle y ajoutait cette admirable pensée d'Alexandre Dumas:  "Ceux que nous avons aimés que nous avons perdus ne sont plus où ils étaient, mais ils sont toujours et partout où nous sommes,"


    Cela s'appelle d'un beau mot plein de poésie et de tendresse: le souvenir.


                                                                                                  


                                                                                                     Doris Lussier






































































              













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Cette Page a été créée le 18 Août 2000
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Dernière Mise à Jour: August 3, 2002